Les cinq sens / Les mots qui nous touchent
Le toucher.
La matière, le réel, l'action, le vivant.
Système nerveux en ébullition,
à chaque mouvement,
caresse,
effleurement.
La paume,
Les cinq doigts,
Le bout du doigt,
Les ongles.
La peau,
Miroir émotionnel,
Réaction épidermique,
tantôt chaude, tantôt froide.
Le sang,
Les larmes,
La sueur.
Collante,
Moite,
Humide,
Douce,
Sèche,
Rêche.
Toucher,
Caresser,
Attraper,
Porter,
Tenir,
Serrer,
Embrasser,
Mordre,
Lécher,
Pincer,
Griffer,
Effleurer.
Sensibilité.
Sensorialité.
Electricité.
Plusieurs lectures,
Dans une littérature spécifique,
la mienne.
Passage simultané de chaleur et d'électricité à travers deux corps qui se mélangent. Si on prend deux corps pleins de chaleur et d'électricité qui sortent de la peau par les pores, et que ces deux corps s'étreignent, vibrent et commencent à se mêler, il se produit une réaction de conduction et de circulation qui fait que chaque pore absorbe l'énergie qu'il a exhalée précédemment mais sous une autre forme. La rapidité de ce phénomène, la transformation de la chaleur et de l'électricité en énergie produisent une irradation intense des corps qui pratiquent la circulation. C'est ce que les amantes veulent dire quand elles disent, je te circule, tu me circules.
Je modelais son épaule, je voulais pour elle des caresses campagnardes, je désirais sous ma main une épaule houleuse, une écorce.
Je voudrais vous manger.
Je veux cette main.
Son geste inachevé me charmait.
Elle foulait mon coeur, mon ventre, mon front avant d’entrer.
Je la repris où je l’avais laissée. Nos bouches l’une sur l’autre s’ouvrirent dans un rêve commode. Je la renversai sans me dépendre, je tins sa tête dans mes mains comme l’habitude, comme j’aurais tenu le poids d’une tête décapitée. J’entrai. Je trouvai un relent de pâte dentifrice, un souvenir de fraicheur. Nos membres mûrissaient, nos charognes se décomposaient. Exquise pourriture. J’entrouvrais les yeux : Isabelle m’observait. J’avais déclaré la guerre dans sa bouche, j’avais été vaincue.
J’aimais Isabelle sans gestes, sans élans.
Ma bouche rencontra sa bouche comme la feuille morte la terre. Nous nous sommes baignées dans ce long baiser, nous avons récité nos litanies sans paroles, nous avons été gourmandes, nous avons barbouillé notre visage avec la salive que nous échangions, nous nous sommes regardées sans nous reconnaitre.
Les notions sont vite oubliées. Face à face d’abord. Tout à fait debout sans rien toucher.
Mes seins sa bouche sa main ses doigts, à peine.
Se précipiter sur ce corps lesbien,
qui est à la fois le mien
et celui de l’autre,
nuancer ce regard sur le tout et s’obliger à fragmenter.
Mes mains son cul ses mains mes seins.
C’est ce qui reste du geste.
Brouillon pour un dictionnaire des amantes, Monique Wittig & Sande Zeig, 1976
Thérèse et Isabelle, Violette Leduc, 1966
Petite Nature, Stéphanie Garzanti, 2023